Mamie s’envoie en l’air ©

            Elle vient parfois accompagner son petit-fils au club.

            Elle est toute petite et marche avec une canne dont elle n’a pas vraiment besoin, mais qui lui sert à menacer les chiens et la population.

            Elle roule aussi des yeux furibards, et lorsqu’elle demande un siège, l’obtient illico.

            Un jour elle m’entreprend, et, après avoir refait le monde d’une manière péremptoire, m’annonce qu’elle veut apprendre à monter à cheval.

            Quasiment, c’est un ordre.

            – Et pourquoi pas ?

            J’ai beau prendre des gants longs comme le bras pour tenter de lui faire admettre qu’elle a passé l’âge, qu’elle est probablement « cassante » et que sa souplesse n’est plus qu’un souvenir… elle n’en démord pas.

            Bon.

            Devant pareille détermination, je fais seller le cheval le plus flemmard de l’écurie et envisage une longe au pas avec du monde autour.

            Par chance « Mamie » est moderne et ne porte que des pantalons.

            Je la fais venir à la gauche du cheval que l’on me tient prudemment. Puis, lui ayant mis une poignée de crins dans une main et posé l’autre sur le troussequin, je lui demande de me donner sa jambe gauche et lui explique qu’elle va devoir tirer sur ses bras au moment où je la soulèverai.

            Elle est légère comme une plume, mais… à force de déplacer des bottes de foin, je ne connais plus ma force et l’enlève avec un élan tel que « Mamie » atterrit à plat ventre de l’autre côté du cheval !

            Par bonheur, il ne bronche pas.

            Il en a vu d’autres.

            Je suis sidérée par ce que j’ai fait, vraiment, et… morte de rire à la fois.

            Par chance, « Mamie » se relève intacte, mais furieuse, on le serait à moins.

            Bien sûr, et malgré mes plus plates excuses, elle n’est jamais revenue.

            Depuis, je l’imagine me vouant aux Gémonies, agitant ses bajoues derrière une tasse de thé, ce fragile rempart de l’existence et des années.

         Julie Wasselin-Degrange

                               Extrait de son livre « Les sentes cavalières » édité à L’Harmattan.