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Coup de cœurDivers

La selle

By 8 octobre 2024One Comment

          Elle est inutile, à présent.

           Passée, avec les rêves, au rayon des objets du culte (*), celui des antiquités.

          Dans le creux de sa peau luisante, Jeanne aime à glisser sa main.

          Elle est si belle encore.

          Selle de dressage sans faux-quartier, au plus près de l’animal, étrivières et sangle bouclées par en bas. Une position, une seule, la bonne, jambes descendues, le cheval devant soi.

          Et, le confort dans l’inconfort !

          Elle l’a fait souffrir, elle l’a dressée, la Jeanne, et la Jeanne a cédé.

          Elle s’y est enfouie.

          Certaines fois, même, le corps rompu de plaisir, elle a eu du mal à s’en extraire, à poser à terre un pied vacillant qui n’avait plus envie de marcher, car dans l’abolition de soi et le devenir cheval, il est des instants de grâce où le cheval et son cavalier ne font qu’un.

          L’envie de l’utiliser la hante, mais elle se l’interdit : l’âge, et surtout des vertèbres en trop triste état.

          Si Jeanne se casse à présent, qui veillera sur moi, sur mes vieux compagnons ?

          L’heure de la raison est arrivée, mais ce qui est raisonnable est rarement bon.

          Hélas, les meilleures choses ont une fin.

          Et il est d’ailleurs bien possible que, de son côté, cette selle se désole de n’avoir plus à porter que le poids de la nostalgie ?

          Quand les chevaux partent vers d’autres rivages, au delà des larmes, il faut se féliciter de les avoir rencontrés, et, parfois, d’en avoir été accepté.

          Il ne reste alors rien d’autre à faire que de « les écrire », les raconter, avant qu’ils ne se perdent dans les brumes de l’oubli.

          C’est sans doute la meilleure façon de passer encore un peu de temps auprès d’eux, la plus jolie façon de les offrir à ceux qui ne les ont pas connus.

          Les prolonger, oui… et leur permettre de ressusciter chaque fois qu’un lecteur s’intéresse à eux. Bien sûr qu’elle aimerait danser encore, la Jeanne, ainsi qu’elle a eu le bonheur de le faire avec quelques merveilleux chevaux ! Hélas, les notes de la dernière valse se sont envolées.

          Le bal est terminé.

(*) Le général Pierre Durand  nommait ainsi les souvenirs des vieux cavaliers.

©  Julie Wasselin Degrange

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