LA ROULANTE

 Aux Poilus

            À Bar-le-Duc, j’ai pris la Voie sacrée en direction de Verdun.

            Les bornes sont coiffées de casques laurés, et décorées de la palme des martyrs.

Je ralentis, saisie par le recueillement.

            Personne à l’horizon.

            Des milliers d’hommes, pourtant, chaque jour sont passés là, dont il ne reste rien… que le souvenir de leur calvaire.

            Je me rends à Vauquois, présider un concours d’attelage.

            Haut lieu de la guerre de mines entre l’Argonne et la Meuse, la terre de Vauquois où nous allons nous amuser a baigné dans le sang… quatorze mille morts, je crois.

            Le concours est sans histoire et l’ambiance chaleureuse. C’est un de ces petits concours joyeux comme on les aimait et qui se perdent, à mon grand regret.

            La soirée sera mémorable.

            Dans une grange immense, les tables s’alignent en chevrons.

            Il y a foule.

            Quand arrive, tirée par un magnifique ardennais, « la popote », la roulante, la soupe en un mot, et c’est la stupéfaction.

            Bousculade, gamelles à la main, pour recevoir la louche que verse la cantinière…

            Nous admirons l’antique machine.

Par quel miracle est-elle sortie quasiment intacte de l’enfer de 14-18 ?

            L’émotion est palpable à la pensée des pauvres hères qui ont puisé un peu de réconfort en ses flancs, avant d’aller se faire déchiqueter.

            Alors, pour nous convaincre que l’existence continue et que nous sommes vivants, nous décidons de chanter tous ensemble, j’arrache les gens à leurs bancs, je conduis une farandole, parce que ceux qui sont morts ici pour nous, aimeraient, je crois, voir que grâce à eux, la paix est revenue en ce lieu et qu’il est encore possible d’y être heureux.

 Julie Wasselin-Degrange

Extrait de mon livre «  Sous le regard des chevaux », préfacé par le général P.Durand, éditions de l’Harmattan.